Depuis le temps, les représentations en public ne la stressaient pas.
Et surtout pas dans un endroit très fréquenté, face à beaucoup de monde. Des gens dont certains sont venus exprès pour voir la pièce.
Une pièce très connue dans le monde du spectacle, et qui fait toujours son effet.
Une version courte. Toujours des versions courtes. Quand on fait du théâtre amateur en pleine rue, on n'a pas le temps.
Vêtue d'une robe qui lui donnait l'air de venir du dix-huitième siècle, Ellinor prit la main de ses deux camarades à ses côtés pour le salut final. Le public, constitué majoritairement de personnes qui venaient se détendre un peu dans le parc pour la pause de midi, applaudit et certains crièrent des compliments. Naturellement, le cœur de l'actrice se réchauffa, en se disant qu'une fois de plus, le projet avait été un succès. Ça n'arrivait pas tous les jours, mais ça arrivait suffisamment pour que le groupe soit toujours motivé. Ellinor la première.
Alors que les spectateurs repartirent chacun de leur côté, les étudiants en firent de même pour se préparer à partir eux aussi. Certains avaient cours dans quelques minutes. Ellinor, elle, avait fini pour la semaine. Tout ce qu'il lui restait à faire, c'était rentrer chez elle pour se reposer comme elle l'avait mérité. Ou peut-être allait-elle inviter ses amis à faire un détour au cinéma, à un restaurant ou autre chose ? Elle n'avait rien de prévu.
Elle commençait à déboutonner sa veste lorsqu'un homme s'approcha d'elle. Il l'aborda immédiatement.
Ellinor se dit qu'il s'agissait sûrement d'un spectateur lambda. Puis, elle se dit que son visage lui était familier; peut-être était-il déjà venu voir le groupe ? Et enfin, elle se mit à remarquer l'étrange odeur de l'inconnu. Une odeur qu'elle avait déjà senti de nombreuses fois. L'odeur des gens qui, comme elle, devaient se cacher et se forcer à vivre une vie normale. Un Revenant. Encore un. Le sourire d'Ellinor s'effaça. Si certains Revenants étaient ravis de se rencontrer, la jeune fille ne pouvait pas s'empêcher de ressentir ce pincement au cœur en imaginant leur atroce quotidien. Étant la réincarnation d'une déesse mineure, Elli' avait un peu plus de chances que d'autres.
Elle se força à écouter l'homme, en essayant de rester aussi naturelle qu'elle le pouvait.
Je suis impoli de ne m’être présenté: Sylvester Grenville. Cela serait un plaisir de discuter théâtre avec vous, si vous en avez le temps.
Elle avait bien entendu ? Son ouïe n'était pas encore défaillante, impossible qu'elle lui ait joué un tour... L'homme qui se tenait en face d'elle, le Revenant qu'elle venait de croiser, serait un des plus grands dramaturges de l'époque ?!
Comme le monde est petit...
D'un ton faussement enjoué, l'étudiante répondit :
Ça alors ! Sylvester Grenville me propose de parler théâtre ? Si j'avais su ça en me levant... Je suis Ellinor Bell. Ce serait un plaisir de venir discuter avec vous. Pourquoi ne pas faire ça sur un banc, au calme ?
Si le dramaturge avait remarqué sa nature, et s'il comptait lui en parler, il serait plus sûr de le faire à l'abri des oreilles de ses camarades de théâtre.